Kurar et Lucas Ribeyron Duo Show

« Nous vivons dans un monde où un arbre a financièrement plus de valeur mort, que vivant, où une baleine a plus de valeur morte que vivante. Tant que notre économie fonctionnera dans ce sens et que les entreprises seront non régulées, elles vont continuer à détruire les arbres, à tuer des baleines, à exploiter la terre et à pomper le pétrole du sol, même si l’on sait que cela détruit la planète et que l’on dégrade le monde des générations futures. Cette pensée à court terme provient de la religion du profit à tout prix, comme si magiquement chaque entreprise allait égoïstement donner le résultat optimal. Cela touche l’environnement depuis longtemps. Ce qui fait peur et ce que l’on espère être la goutte d’eau qui va montrer à notre civilisation que cette théorie est bancale depuis le début, c’est que c’est à notre tour d’être l’arbre, la baleine. Notre attention peut être exploitée, nous valons plus pour une entreprise si nous passons du temps devant un écran, à regarder une pub, que si nous le consacrons à une vie enrichissante. Et nous voyons le résultat. Les entreprises utilisent une intelligence artificielle puissante pour nous abêtir et capter notre attention sur ce qu’ils veulent, et non sur ce qui est le plus cohérent avec nos buts, nos valeurs, nos vies... » (Justin Rosenstein Extrait de « The Social Dilemma »)

 

Rien ne pouvait mieux illustrer le dialogue qui prendra place à la galerie Taglialatella à partir du 14 octobre 2020 entre les artistes Kurar et Lucas Ribeyron que le propos de Justin Rosenstein, l’un des grands contributeurs au développement des outils, moteurs et applications que nous connaissons et qui, après avoir été au cœur du réacteur du monstre technologique pendant de nombreuses années, dénonce cette accélération de l’effondrement. 

 

Dans ce dialogue, Lucas Ribeyron utilise la vidéo surveillance comme expression iconographique afin de mettre en exergue à quel point les nouveaux moyens de captation ont modifié et retournent notre perception du monde, et comment les médias technologiques, par la saturation d’images et d’informations, sont devenus aveuglément la nouvelle religion ; Kurar nous montre à travers ses symboles et ses représentations grinçantes les dérives auxquelles nous sommes confrontés et les conséquences de cet appât immédiat du profit sur notre cerveau mais également sur notre environnement.


En effet, partant du constat d’un monde qui s’observe et s’épie en permanence, jusqu’à l’obsession, Ribeyron envisage le système de vidéo-surveillance comme un point de vue narratif, le symbole d’une dérive de la réalité. Son travail fait de distorsion d’images modifie notre regard devenu flouté et dès lors nous interroge sur notre rapport au monde.

Sa fascination pour ce système de contrôle et le rapport ambivalent à l’image qu’il suscite devient l’essence de sa démarche afin de rendre visible une distorsion de la réalité que nous subissons mais ne voyons pas.

Les œuvres présentées font souvent référence aux canons de la peinture traditionnelle et à une technique classique mais leur représentation offre une saturation, l’œil « vidéo-surveillance » vient symboliquement déconstruire ce que les siècles d’histoire de l’art ont offert comme idée de l’esthétique.

Son point de vue contemporain relate l’obsession de l’image pour questionner la place de l’Individu et son rôle : le pouvoir, le contrôle, la violence, autant de thèmes incarnés par la vidéo-surveillance qui interrogent. Qui contrôle qui et pourquoi ?


Dans ce dialogue, la démarche de Kurar devient une mise en évidence. Son iconographie onirique joue également avec les références artistiques qui sont le point d’ancrage teinté de nostalgie dans ce chaos où virevoltent les symboles de destruction et de peur, les barbelés, les murs défaits, les armes, les centrales nucléaires…. Les nouvelles appropriations technologiques représentées par la tablette déconstruisent l’esprit, tout devient manipulation ; le vide est partout et chacun prend place dans une sombre marche moutonnière… 

 

Mais la transcendance étant encore possible, les deux artistes nous invitent à sortir de l’obscurité de nos consciences. Pour Kurar l’œuvre « Don’t follow the group » est l’hymne pour sortir de l’enfer moutonnier et colorer le monde ; de même, « les mots » en tant qu’expression de la réflexion, de la richesse intellectuelle et de la connaissance sont la meilleure « arme ». Pour Ribeyron la lune, emblème de l’inexorable cyclicité de la nature, éclaire sur ce monde : l’humain peut s’effondrer, la nature continue son cycle. Cette adversité nous ramène à notre modeste condition et nous interroge aussi sur l’action de l’Homme sur les Autres et sur son environnement.... Dans ce tumulte la Lune imperturbable fige l’instant et nous offre une lucidité nouvelle vers la contemplation encore possible d’une lumière au bout du tunnel.


KURAR « Generation 2020 » et Lucas Ribeyron « Serpent » 2020

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