Lucas Ribeyron du 28/11/2019 au 21/12/2019

Lauréat du prix Pierre Gautier-Delaye, l’artiste est résident de la Cité Internationale des Arts en 2019. Il participe à l’exposition « Appareiller » au Palais de Tokyo en 2017 puis « 100% l’Expo » lors du « Festival 100% » à la Villette en 2019 ainsi qu’à de multiples manifestations à la Villa Belleville et Shakirail. 

Partant du constat d’un retournement de la perception du monde qui s’observe et s’épie en permanence, l’artiste urbain envisage le système de vidéo-surveillance comme un point de vue narratif.

La perception détournée devient le terrain de multiples jeux, la mise en abîme est infinie.

Si au début du XXème siècle le rapport à la peinture est questionné avec l’arrivée de la photographie; avec l’apparition des nouveaux moyens de captation contemporains, c’est le rapport au monde, à l’esthétique, à l’iconographie et à la réalité qui devient interrogation pour l’artiste.

En effet, sa fascination pour ce système de contrôle et le rapport à l’image qu’il suscite est fondée sur de multiples constats et devient l’essence de sa démarche.

La recherche sous-jacente est la tension, la limite, chaque image retransformée selon l’œil de l’artiste requiert son ambivalence.

Le rapport au square est une riche illustration de ce qui se joue chez l’artiste. Le terrain de jeux de l’enfance vient se confronter à la limite. Les squares de Lucas Ribeyron sont toujours « entre-deux », entre deux sociétés qui s’observent, l’espace est à la limite de deux mondes où se joue la distance à la ville : ceinture urbaine ou dans la ville, que font ces silhouettes qui courent ? S’échappent-elles ? S’amusent-elles ?

De cette ambivalence vient la tension.
D’une part l’artiste se réapproprie les lieux urbains de son enfance : par cette expression narrative, il sécurise ses bons souvenirs et d’autre part il questionne la finalité de cette vidéo-surveillance - intrinsèquement pernicieuse avec ce qu’elle insinue. L’outil est supposé rassurer par le biais du contrôle qu’il exerce sur ces lieux à la frontière, mais l’inquiétude qu’il génère nourrit le paradoxe.

Lorsque l’œil de l’artiste s’immisce dans le système de surveillance pour capter la Pieta ou un paysage Vénitien, son anachronisme vient dialoguer avec les révolutions esthétiques qui ont marqué l’histoire de l’art.

Les codes n’ont eu de cesse d’évoluer et pourtant Lucas Ribeyron utilise les canons de la peinture traditionnelle et une technique classique, seulement les images offrent une distorsion, l’œil « vidéo-surveillance » vient déconstruire ce que les siècles d’histoire de l’art ont offert comme représentation esthétique. Son point de vue contemporain relate l’obsession de l’image, aujourd’hui tout est pris en photo en permanence et de façon infinie. L’artiste se réapproprie cette obsession et l’injecte dans sa peinture pour questionner la place de l’individu et sa représentation. Dans son Œuvre, alors que les espaces sont construits, les individus prennent la silhouette d’apparitions, fantomatiques, quasi divines.

La démarche est d’autant plus saisissante qu’elle met en abîme différentes situations historiques fondamentales pour l’artiste.

En effet lorsque la Pieta de Michel-Ange est envoyée à New York en 1964 pour l’exposition universelle, Robert Hupka est chargé de choisir les enregistrements musicaux de l’exposition et de réaliser une photo pour le disque souvenir. Dès lors commence pour Hupka une véritable et inattendue « aventure d’âme » pendant deux années. : "je me mis ardemment au travail (avril 1964) dans l'intention d'obtenir la plus belle photo de la Pieta... Mais une fois lancé dans cette tâche, je ne pus plus m'interrompre jusqu'au moment où le navire qui ramenait la statue en Italie (novembre 1965) ait disparu de ma vue"[i].

Cette obsession de la plus belle image consacre la Pieta de Lucas Ribeyron intitulée « After Michel-Ange after Mellan after Hupka ». Cette mise en abîme de l’artiste est un malicieux pied de nez aux interprétations et réinterprétations qui sont légion dans l’histoire contemporaine et qui rythment également l’Histoire de l’Art à perdre la « trace » de l’œuvre originale…

Le clin d’œil à la célèbre « Sainte Face du Christ sur le voile de Véronique » s’inscrit dans ces superpositions d’images et d’inspirations. Dans le chef d’œuvre de Mellan, les lignes s’entre-croisent à l’infini et viennent se confondre sur la Pieta de Ribeyron avec le flou narratif de l’image de vidéo_surveillance.

Le 21 mai 1972, jour de la Pentecôte, Laszlo Toth porte quinze coups de marteau sur la Pieta de Michel-Ange revenue d’Italie.

Pour l’artiste cet évènement emblématique soulève une multitude de questions quant au rapport à l’image et aux codes : des cycles réguliers voient des images religieuses détériorées ou détruites, ce lien à la violence vis-à-vis des images fait glisser une nouvelle fois le point de vue de l’artiste vers autre chose, la religion et son iconographie symbolisant une forme de pouvoir, le contrôle, la violence, autant de thèmes incarnés par la vidéo-surveillance qui interrogent sur l’omniprésence des médias, comme une nouvelle forme de religion ? Qui contrôle qui et pourquoi ?

[i] Source : http://www.la-pieta.org/_page2_/hupka

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